"Traitez les gens comme s'ils étaient ce qu'ils pourraient être, et vous les aiderez à devenir ce qu'ils sont capables d'être" Goethe

Histoire de vie

 

 

 

 

 

Je suis la maman d’Éléonore

Quand elle est née il y a 24 ans et depuis sa naissance, on m’a souvent demandé : « Mais pourquoi ? Tu ne savais pas que tu portais un enfant trisomique ? On ne t’avait pas fait une amniocentèse ? » Au début, je répondais « Non, je ne savais pas. Et mon obstétricien m’a expliqué que, même si je lui avais demandé une amniocentèse, il ne l’aurait pas faite parce que, compte tenu de mon âge, je ne faisais pas partie d’une catégorie à risques. » Puis je n’ai pas tardé à ajouter : « Certes je ne le savais pas et c’est tant mieux. Si mon obstétricien me l’avait appris pendant ma grossesse, j’aurais certainement pris peur et fait la plus grosse erreur de ma vie. » Il y a 24 ans, je ne savais rien de la trisomie ; juste quelques idées préconçues, majoritairement monstrueuses, sources d’angoisse, de honte et d’antipathie. Je n’étais pas croyante (la perte de mon deuxième enfant m’avait définitivement fait perdre la foi) et j’aurais probablement préféré interrompre ma grossesse pour me donner la chance de mettre au monde, plus tard, un enfant « normal » plutôt que déficient intellectuel.

Une fois le choc de l’annonce de son handicap et des problèmes de santé associés passé, Éléonore a fait se révéler en ses parents une force et une capacité de tolérance que nous méconnaissions totalement. Sa présence est rapidement devenue source de richesse et de bonheur. Parce que ses progrès étaient lents et attendus, chacun d’eux était apprécié plus que de raison. Très tôt, Éléonore donnait du sens à notre vie et nous investissait d’une mission : celle de se battre pour elle, de lui rendre la vie la plus facile possible, lui donner toutes les chances de réussite et d’épanouissement. Bien sûr, c’est ce que tout parent veut pour son enfant, mais quand il s’agit d’un enfant qui part dans la vie avec un handicap, cela nécessite un investissement personnel supplémentaire, une patience hors du commun, et beaucoup de conviction. Quelques mois après sa naissance, son papa prenait la présidence d’une association de parents d’enfants trisomiques, nous consultions les services spécialisés pour une prise en charge précoce, je lui apprenais à lire dès ses premiers balbutiements… Son frère s’enorgueillait de la différence de sa petite sœur (elle était tellement drôle et attachante…) En un mot, nous mettions tout en œuvre pour que ses compétences se développent, et tout ce que nous lui donnions, Éléonore nous le rendait au centuple.

Aujourd’hui, nous savons combien Éléonore nous a enrichis de sa différence, combien elle apporte, de par son rayonnement, à sa famille et à ceux qui la connaissent et combien elle est heureuse de vivre. Éléonore travaille dans un service administratif et est très appréciée de ses collègues. Elle est relativement autonome et envisage d’avoir son propre appartement l’an prochain. Aujourd’hui, nous mesurons l’étendue de notre ignorance d’il y a 24 ans et pouvons affirmer que ce fichu chromosome surnuméraire donne à Éléonore des richesses que nous pouvons lui envier. Aussi, plus que jamais, nous soupirons : « Quelle chance de ne pas avoir su que cet inconnu que je portais en moi était trisomique ! Quelle bonne fortune que notre Éléonore ! »

Maryse Laloux, 2009

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